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La Bégude : auberge ferme et filature

En occitan, "Beguda" désigne un lieu, buvette, auberge, relais où les voyageurs et les animaux s'arrêtent pour boire et se rafraîchir. Ainsi, un acte notarié du XVI° siècle mentionne "l'auberge de la Bègude de Saint-Victor-de-Malcat, située en bord de route, entre Saint-Ambroix et Saint-Jean-de-Maruèjols". Le lieu, situé en bordure d'un chemin ancien et fréquenté, se prêtait à cette activité commerciale de restauration.

La photographie montre le quartier de "La Bégude", avec au premier plan un ensemble de bâtiments organisés autour d'une cour intérieure, pour former un "U". 

Au XVI° siècle, l'auberge cesse ses activités. Elle est remplacée par deux corps de bâtiments parallèles, habitation et ferme, appartenant à la famille de Castillon, seigneurs du château de Saint-Victor. Les ouvertures de la façade, en bordure de la route, présentent une unité de forme qui montre la continuité

Le quartier de la Bégude

de cette construction. Par la suite, une aile va être rajoutée, en perpendiculaire, sur la droite. Au gré des activités agricoles, de nouveaux hangars ont été construits et la grande bâtisse va connaitre différents aménagements.

Au fond, à gauche, s'élève un bâtiment allongé d'une ancienne filature qui a été construite, en 1829, par Adolphe de Castillon. Aujourd'hui, joliment restaurée, l'ancienne filature est devenue une habitation.

La ferme de La Bégude

L'entrée de la ferme, large ouverture exposée au soleil levant, faisait face, jusqu'au siècle dernier, à un vaste verger planté principalement de pommiers. Les terres cultivables s'étendaient dans la plaine. Elles pouvaient être irriguées par un canal à écluses dont l'eau provenait de la Cèze. Au sud du bâtiment, en bordure du canal, était le lavoir où les femmes venaient battre de linge. Plus bas, entourée de peupliers argentés, s'étalait une mare peuplée de grenouilles et lieu de baignade de canards.

La ferme de La Bégude aux débuts du XX° siècle

Les familles Castillon, Bastide de Malbos et Silhol ont été propriétaires du domaine qui était travaillé par des fermiers. Ils restaient quelques années, le temps d'un 

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fermage d'une durée plus ou moins longue. Toutefois, l'un d'entre eux, Jean Paul Théodoric Tuech et son épouse, Adèle Nicolas, sont restés fermiers de 1905 à 1943. 

Le 1er septembre 1905, Paul entre au service de Louis Silhol, propriétaire du château de Saint-Victor. Embauché à titre de surveillant du personnel, puis de "bayle", Paul, qui possède un physique imposant et un fort caractère, montre rapidement des dispositions à diriger une équipe. On le surnommait "le sergent". Dans un petit carnet, en février 1914, le nouveau "bayle" avait établi un inventaire détaillé du matériel et des bêtes de la ferme : "Plusieurs charrettes et calèches, deux chars à bœufs, deux tombereaux, des jardinières, trois brouettes, onze tonneaux, ... deux paires de bœufs rouges et une paire de bœufs noirs, une vache et une génisse, 304 bédigues (brebis reproductrices) prises par le piétin (maladie des ovins dont les pieds sont attaqués), 182 moutons presque tous boiteux, 5 chevaux, un vieux et un poussif, 2 porcs à l'engrais, une truie, et 4 porcs petits bien maigres, 84 poules, 16 faveroles (autre variété de poules), 2 coqs, 5 dindes vieilles, 11 jeunes ont toutes été tuées par le renard, 19 pintades, 2 ont été tuées par le renard, 21 coqs de différentes races."

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Le deuxième fils de Paul et d'Adèle, prénommé Sosthène Abel (dit Gaston) secondera son père. Julie, son épouse, prend parfois la plume et raconte : "Je fus employée à la journée dès 1913 (elle avait 14 ans), le régisseur d'alors était monsieur Mazoyer, la guerre l'a pris, remplacé par monsieur Louis Pastré, l'homme n'était pas embêtant, ne venant à la ferme qu'une fois par semaine ..."

Le travail de manquait pas ! 

A la Bégude, le travail ne manquait pas. La ferme employait de nombreuses personnes, des valets de ferme, un berger, un porcher, un jardinier, des lingères et une cuisinière. La plupart originaires des environs, les autres étaient logés sur place. L'entre-deux guerres vit arriver de nombreux réfugiés de l'est de l'Europe, des Polonais principalement. Venus seuls ou en famille, ils ont trouvé un emploi à la ferme. La plupart sont restés, le besoin de main d'oeuvre était grand, que ce soit dans les fermes, les filatures ou les mines. La ferme de la Bégude récupérait les chevaux des mines, presque aveugles de n'avoir pas vu le jour durant des années au fond des puits. Ils finissaient leur pauvre existence à faire tourner les meules. Entre 1933 et 1940, la ferme de la Bégude fournissait aux Houillières des Cévennes la première coupe de foins, soit prè de 200 tonnes. La ferme récoltait 15 hectares de luzerne, 100 hectares de blé et environ 1000 hectolitres de vin qui étaient faits sur place, dans une cave des plus modernes pour l'époque.

Au rythme du couteau

La cour au centre de la ferme s'animait dès le petit jour. Les bêtes étaient menées à l'abreuvoir près du portail. Tous s'activaient aux tâches quotidiennes avant le petit déjeuner. La pièce voutée du rez-de-chaussée servait de salle à manger et, devant la grande cheminée, il y avait parfois une vingtaine de personnes autour de la table, matin, midi et soir, sans compter les saisonniers en période de foins, de moissons ou de vendanges. Le "baille" se tenait en bout de tablée, les convives attendaient qu'une fois assis il ouvre son couteau. Le repas pouvait alors commencer, mais dès qu'il avait terminé, et sa dernière bouchée avalée, il fermait le couteau, signe que tous devaient aussi avoir terminé et se devaient de quitter la table.

En 1938, Louis Silhol décède. Paul Tuech est âgé de 63 ans. Il se décharge volontiers sur son fils, Gaston, des travaux agricoles pénibles, mais conserve la gestion et l'administration de la ferme. Toutefois, Gaston ne partage pas les orientations nouvelles d'Olivier Silhol concernant l'exploitation de la ferme et, en novembre 1943, la famille Tuech se retire à Saint-Ambroix.

Regain au XXI° siècle ! 

La Bégude, longtemps abandonnée, tombe en décrépitude, mais depuis 2019 elle paraît regaillardie, un souffle nouveau vient balayer les poussières, un regain de vie anime ses murs anciens. Nous lui souhaitons, ainsi qu'à ses nouvelles propriétaires, de bien belles choses à partager.

Cette présentation est tirée de l'ouvrage :  

Saint-Victor-de-Malcap, Saint-Etienne-de-Sermentin, Pierre CHANTE, Jean-Claude LACROIX et Sylviane TUECH-BONHOMME, Groupe Histoire en Cèze-Cévennes, Ed. de la Fenestrelle, Brignon, 2020. 156 pages - N° ISBN : 978-2-37871-064-4.

Un grand merci au Groupe Histoire en Cèze-Cévennes pour l'accord de publication. 

Ce très beau livre sur l'histoire locale, agrémenté de nombreux très beaux clichés, est disponible à la vente à la Ferme de la Bégude au prix d 25€.

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